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Dans La Tentation de saint Antoine, Gustave Flaubert a fait part de ses visions, en leur donnant un sens spirituel. Sa correspondance, en effet, révèle qu’il fut dans sa jeunesse soumis à des hallucinations. Elle dit, aussi, qu’il croyait à l’Esprit. Il est manifeste que dans ce dialogue qu’il disait philosophico-fantastique il s’est efforcé de donner aux images qui l’avaient obsédé une signification mystique.
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La fin montre des visions originales, non reprises de traditions antérieures; Antoine distingue un monde où les formes sont imprécises, où elles se mêlent, fusionnent, le minéral, le végétal et l’animal semblant ne former qu’un tout. Il a pénétré dans ce que l’occultisme appelle le monde élémentaire, ce qui se tient juste derrière les apparences. Au bout du compte, il voit des membres tronqués qui repoussent, qui guérissent; il s’agit aussi du lieu secret dont la vie émane.
La vision s’efface; mais, entre des nuages d’or, le saint anachorète voit, au cœur du soleil, la figure de Jésus-Christ! Aussitôt il se met à genoux pour prier.
Or, tout cela a un rapport clair avec l’Art. Antoine, avant d’avoir ces imaginations, s’exclamait: Il doit y avoir, quelque part, des figures primordiales, dont les corps ne sont que des images. Si on pouvait les voir on connaîtrait le lien de la matière et de la pensée, en quoi l’Être consiste!
Ce sont ces figures-là qui étaient peintes à Babylone sur la muraille du temple de Bélus, et elles couvraient une mosaïque dans le port de Carthage. Moi-même, j’ai quelquefois aperçu dans le ciel comme des formes d’esprit.
S’agit-il, pour Flaubert, d’une confession intime? L’idée naît en tout cas, puisque Carthage est nommée, que Salammbô est en réalité le déploiement de ces figures primordiales au sein de l’histoire. Là est l’épopée.
Dans ce monde imaginal - comme eût dit Henry Corbin -, le lien apparaît entre l’Esprit et la Matière, dit Flaubert; c’est en lui que les deux se rencontrent. Idée qui émanait du romantisme allemand, et que Goethe à coup sûr appliquait dans son Second Faust, que Flaubert imitait consciemment. La Tentation de saint Antoine est un grand texte méconnu, l’un des seuls de la France moderne qui aient touché au Mythe, et on s’étonne qu’André Breton ne l’ait pas cité; Lovecraft l’adorait, en revanche; et Ernst l'a illustré.
Néanmoins, si on le compare à Goethe, il faut avouer qu’il avait quelque chose d’un peu abstrait. Les figures archétypales des anciens avaient un rapport avec les astres, le zodiaque; Flaubert ne va pas si loin: il est plutôt dans l’idéalisme de Hegel, qu’il connaissait par ce qu’en avait rapporté en France Victor Cousin.
Il reste un très grand homme. Pas de récit fabuleux plus réussi dans la France moderne que sa Légende de saint Julien l’hospitalier…